Dossier

La lutte contre le surendettement dans le canton de Neuchâtel

04.09.2022
3/22

Le surendettement est un phénomène en nette augmentation en Suisse. Particulièrement touché, le canton de Neuchâtel a adopté en 2020 une « Loi sur la lutte et la prévention contre le surendettement », largement soutenue politiquement et entrée en vigueur en 2021. Cette loi comporte trois axes : la prévention, la détection précoce et l’assainissement financier.

Contrairement aux idées reçues, le surendettement trouve rarement son origine dans un comportement individuel dépensier ou un usage déraisonnable de crédits. Il s’agit bien plus d’un problème systémique lié à l’évolution de conditions-cadres économiques, sociales et légales, telles que l’augmentation des primes d’assurance maladie et des loyers, la stagnation des salaires ou encore l’instabilité socioprofessionnelle. Les cantons, en première ligne avec les villes et les communes dans la mise en place de mesures de prévention et de lutte contre la pauvreté, se préoccupent toujours davantage de cette problématique.

La détection précoce

La détection précoce a pour fonction de venir en aide aux personnes qui rencontrent de premières difficultés financières, avant que celles-ci ne dégénèrent dans une situation de surendettement. Elle revient à permettre aux collaboratrices et collaborateurs de l’État d’identifier, à l’aide de « signaux d’alarme », les personnes qui sont exposées à un risque de surendettement, afin de les aiguiller vers un accompagnement professionnel, anonyme et gratuit par des expert-e-s de la gestion du budget et des dettes (CSP et Caritas). Grâce à l’élaboration d’une solide gestion administrative et budgétaire, d’un bilan financier, d’un plan de paiement des dettes, de négociations avec les créanciers, la personne doit pouvoir envisager de retrouver une situation financière stable et durable dans un délai raisonnable (fixé en général à 36 mois).

L’importance de la détection précoce se cristallise dans un chiffre bien connu dans les recherches sur le surendettement : 80 % des personnes surendettées sollicitent de l’aide seulement trois ans après le début de leurs difficultés financières, et parmi elles 10 % la sollicitent seulement après dix ans (MERCIER 2021, 250). La volonté de s’en sortir par soi-même, combinée à la fausse croyance que cela n’exige pas de compétences spécialisées et à l’idée erronée de responsabilité exclusivement individuelle, empêche non seulement les personnes de demander de l’aide, mais renforce encore le sentiment (injustifié) d’incompétence et renferme les personnes surendettées sur elles-mêmes.

Mise en œuvre concrète

Le programme de détection précoce a démarré à la mi-février 2021 avec le recrutement d’une chargée de projet par le service de l’action sociale (SASO). La première étape a consisté à réunir un maximum d’informations au sujet d’autres projets similaires, notamment à Genève et à Fribourg. Dans un deuxième temps, un groupe de travail regroupant l’ensemble des services publics identifiés comme pertinents s’est constitué, qui se réunit tous les deux mois. Pour finir, le SASO a développé, avec le groupe de travail, les divers outils à destination des collaboratrices et collaborateurs des services pour la mise en œuvre concrète du projet.

Les principales étapes de la détection précoce

La procédure de détection précoce « commune » à l’ensemble des services se décompose en quatre étapes : (1) En premier lieu, un-e citoyen-ne soumet une demande auprès d’un service public. La détection précoce est ainsi toujours réactive et jamais proactive. (2) Cette demande peut faire apparaître des signaux d’alarme qu’il convient d’identifier tels que, par exemple, un changement récent de situation financière ou familiale, des arrangements et/ou des retards de paiement multiples, un crédit pour rembourser une dette ou pour financer le quotidien, de premières poursuites, le renoncement au traitement du courrier/administration, etc. (3) La mission consiste ensuite à exposer aux personnes les prestations proposées par les services sociaux privés partenaires, spécialistes du conseil budgétaire et du désendettement, à savoir le CSP et Caritas. Cette clarification du contenu des prestations permet d’éviter les croyances erronées au sujet de l’aide que le CSP et Caritas sont susceptibles de fournir ainsi que les frustrations qui pourraient en découler. (4) Enfin si la personne exposée au surendettement exprime de l’intérêt, alors le collaborateur ou la collaboratrice du service public lui remet un coupon lui donnant droit à un accompagnement adapté auprès du CSP et de Caritas.

Les services impliqués dans la première phase (1re année)

Actuellement, sept services publics sont impliqués dans la démarche de détection précoce : l’Office cantonal de l’assurance maladie et des bourses d’études, le Service des ressources humaines, l’Office de recouvrement de l’État, le Service des poursuites et faillites, l’Office de recouvrement et d’avances des contributions d’entretiens, le Service cantonal des contributions, les Guichets sociaux régionaux.

Les outils développés

Pour accompagner les collaboratrices et collaborateurs de l’État, quatre outils ont été développés : un mémento qui récapitule les réponses à diverses questions pratiques, des coupons, des séances de formation/sensibilisation du personnel des services et un outil statistique de suivi.

Bilan actuel et étapes restantes

De septembre 2021 à mai 2022, 166 coupons ont été remis par les services et 42 ont été utilisés auprès du CSP et de Caritas. Le taux d’utilisation de 25,3 % après neuf mois environ est proche de celui que rapportent les cantons de Fribourg et de Genève. Il reste à établir une communication à destination des collaboratrices et collaborateurs afin de susciter et de maintenir leur intérêt dans le projet. Un fascicule de formation, destiné aux responsables des services, est ainsi en cours d’élaboration. Ensuite, il est prévu d’étendre le dispositif dès l’automne 2022 au secteur privé – entreprises avec les demandes d’avances sur salaire, assureurs avec les poursuites d’assurances maladie, fiduciaires mandatées pour les déclarations d’impôts ou encore avocats lors du suivi d’un divorce.

Questions et défis lors de la mise en œuvre

Il ne suffit pas de générer de l’intérêt lors du lancement du projet. Il faut aussi le faire perdurer. Afin de maintenir l’implication et la motivation des personnes impliquées, il a été décidé par le groupe de travail de mettre sur pied une communication en quatre axes (communication publique, communication interne, événement ponctuel, fascicules de formation).

Par ailleurs, la posture des fonctionnaires chargés de mettre en œuvre la détection précoce peut s’avérer compliquée dans les services où l’État occupe le rôle de créancier ou dans lesquels il défend les intérêts des créanciers. Il est en effet difficile d’adopter simultanément la posture du « bourreau » et celle du « samaritain ». Il est dès lors essentiel, comme le prévoit la loi neuchâteloise, que la détection précoce soit conçue comme une mesure parmi d’autres, dont le but est de pallier les insuffisances actuelles du système en attendant des améliorations plus profondes.

La principale difficulté de la détection précoce consiste à « occuper un espace » entre la prévention et l’assainissement financier, c’est-à-dire à cibler les situations où l’endettement est « problématique » sans être déjà ingérable. Le critère finalement retenu par le projet est la capacité à se défaire de ses dettes dans un délai raisonnable (ex. maximum trois ans) et sans empiéter sur le minimum vital. Les statistiques recueillies par le CSP et Caritas, lors de la réception des coupons et lors du suivi des dossiers, permettront d’évaluer si le projet atteint sa cible.

Un reproche potentiel à l’égard du projet de détection précoce pourrait porter sur son caractère passif. Une détection précoce « active » ou « proactive » toucherait beaucoup plus de monde et augmenterait nettement l’efficacité du projet. Ce type d’intervention est séduisant, d’autant plus que l’intervention auprès des personnes se veut bienveillante – ou « paternaliste » ; elle ne vise pas à identifier des fraudeurs éventuels, mais à aider des personnes en difficultés financières. Toutefois, ce type d’intervention soulève des difficultés : la protection des données, le tri de celles-ci pour réduire la quantité d’interventions à un niveau gérable pour le service et enfin la fonction de l’État. Celui-ci peut-il légitimement « surveiller » ses citoyen-ne-s à des fins d’intervention bienveillante ?

Judith Notter
Service de l’action sociale du canton de Neuchâtel