« Les parents sont par terre parce qu’ils sont vraiment fatigués et stressés parce qu’ils ont trop travaillé. Les enfants aident les parents pour qu’ils se calment. » Enfant  7-9 ans
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La pauvreté en héritage : une fatalité ?

03.06.2024
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Le dossier du mois de février 2024 de l’Artias est consacré au thème des enfants en situation de pauvreté. Les autrices du dossier formulent également des recommandations aux autorités cantonales de l'aide sociale et à la CSIAS afin de les inciter à prendre des mesures pour que les droits des enfants soient garantis conformément aux dispositions de la Convention relative aux droits de l'enfant. 

En février 2024, l’Artias a publié un dossier qui a pour titre : « La pauvreté en héritage : une fatalité ? Donner une place aux enfants à l'aide sociale ». Parmi celles et ceux qui doivent recourir à l'aide sociale, on trouve de nombreuses familles. Ceci parce qu’élever seule ses enfants, mais aussi le simple fait d'avoir des enfants augmente le risque de pauvreté.

Les enfants forment un tiers des bénéficiaires de l'aide sociale ; ils constituent le groupe démographique le plus souvent soutenu par l'aide sociale. Si les enfants sont bien pris en compte dans le calcul de l'aide économique, il existe peu de réflexions sur ce qu'est le quotidien des enfants qui grandissent dans des familles bénéficiant de l'aide sociale, parfois pendant de nombreuses années. Or, les enfants devenus adultes risquent souvent de mener eux aussi une vie précaire et de transmettre la pauvreté d'une génération à l'autre.

Une recherche en collaboration avec de jeunes cochercheurs touchés par la pauvreté

Le quotidien des enfants en situation de pauvreté, leurs revendications, leurs souhaits et leurs rêves sont au cœur d'une recherche participative financée par le Fonds national suisse et dirigée par la professeure Sylvia Garcia Delahaye et son équipe. En collaboration avec de jeunes cochercheurs eux-mêmes touchés par la pauvreté, l'équipe de recherche a demandé aux enfants de décrire leur situation et de la représenter en images. Les témoignages recueillis ont montré clairement comment les enfants vivent leur situation familiale, notamment la pauvreté, le recours à l'aide sociale ou encore le non-recours aux prestations. Différents groupes cibles ont ensuite été confrontés aux témoignages des enfants. Les autrices ont recueilli les réactions et les réflexions des travailleurs sociaux et des professionnels de l'aide sociale à ce sujet.

Ce dossier du mois compare également les obligations de la Suisse en matière de droits humains et de droits fondamentaux avec le droit de l'aide sociale et les Normes CSIAS. Les autrices constatent à plusieurs reprises que le droit est en contradiction avec le vécu réel des enfants. Par exemple, la Convention relative aux droits de l'enfant proclame le droit des enfants à la santé, à la protection contre les mauvais traitements ainsi que le droit à l'éducation et à l'encouragement, aux loisirs, au repos et au jeu, à un foyer sûr et le droit de participer à la société. « Ces droits sont violés de manière répétée chez les enfants touchés par la pauvreté. Comme ils dépendent d'adultes qui sont eux-mêmes pauvres et vulnérables, ils ont un risque plus élevé de tomber malades et d'être limités dans leur développement », a écrit Caritas Suisse en 2012.

Des recommandations sont donc présentées en conclusion pour mieux prendre en compte les droits des enfants dans l'aide sociale et, de manière générale, dans le travail social ainsi que dans la politique de la famille, de l'enfance et de la jeunesse. Les recommandations s'orientent sur les trois piliers de la politique de l'enfance et de la jeunesse définis par le Conseil fédéral : protection, encouragement, participation.

1. Protection

  • Prise en considération systématique de l'intérêt supérieur de l'enfant, pendant la durée de l'accompagnement social et lors de la prise de décisions, notamment sur des sujets tels que l'activité lucrative, respectivement l'insertion des parents, la formation des enfants, le logement de la famille et le prononcé de sanctions.
  • Inscription des enfants dans la politique institutionnelle de l’aide sociale ainsi que dans le cahier des charges des assistantes sociales et des assistants sociaux afin de les visibiliser et de garantir un temps de travail réel et adéquat pour l’accompagnement effectif des enfants au sein des services. Formation des travailleuses sociales et des travailleurs sociaux ainsi que des professionnel-le-s de l’aide sociale à cet accompagnement.
  • Mise en place de formations adéquates, pour les professionnel-le-s de l’aide sociale, sur les droits de l'enfant. Ces formations permettent aux praticien-ne-s d'acquérir les connaissances nécessaires pour comprendre et faire respecter les droits de l'enfant.
  • Mise en place des systèmes de suivi efficaces pour évaluer l'impact des politiques sur la réduction de la pauvreté des enfants. Ces systèmes doivent garantir une collecte précise des données en tenant compte aussi du vécu des enfants afin de permettre une évaluation continue des politiques et des programmes.

2. Encouragement 

  • Requalification des prestations circonstancielles dédiées à l’encouragement du développement de l’enfant (art. 11 de la Constitution fédérale) en prestations circonstancielles de couverture des besoins de base, afin qu’elles soient octroyées de plein droit à tous les enfants.
  • Adoption d’une franchise plus large sur le revenu des apprentis, afin que l’argent gagné ne serve pas uniquement à la couverture du minimum d’existence de la famille.
  • Encouragement, par un système de bourse d’études, des formations qualifiantes et correspondant aux souhaits et aux aptitudes des enfants et des jeunes qui ont grandi dans des familles touchées par la pauvreté. Création, respectivement renforcement des dispositifs qui permettent à ces enfants et à ces jeunes d’accéder à ces formations.

3. Participation

  • Développement d’espaces et d’outils adaptés et non confrontants pour l’écoute, la récolte et la reconnaissance de la parole des enfants et des jeunes au sein des services de l’aide sociale, en tenant compte de l’asymétrie existante avec les adultes.
  • Mise en place d’un système permettant d’évaluer la réelle prise en compte des opinions des enfants dans les politiques, les programmes et dans les principales décisions qui les concernent.

Dossier du mois

Les images et discours font partie des résultats de la recherche FNS de Prof. Sylvia Garcia Delahaye :

  • « Participation des enfants et des jeunes à la construction de connaissances sur la pauvreté infantile en Suisse et à la définition de politiques publiques les concernant : À la recherche d’une méthodologie adaptée » www.mavoixenimages.ch
  • Garcia Delahaye, S., Dubath, C. (2023, sous presse). La quête d’une écologie des savoirs sur la pauvreté infantile. Créativité et jeu dans les recherches participatives en travail social. Pensée plurielle. N°59. 2023-2.
  • Garcia Delahaye, S., Johnson L., Baba K.I., Mulaku L., Guhirwa M., Djrabouhou M., Abbi N., (2023). Les recherches participatives artistiques en travail social comme espaces de liberté : une analyse de la pauvreté infantile à partir de la voix de jeunes co-chercheur.euse.s. Écrire le social. La Revue de l’AIFRIS.
Rédaction: Ingrid Hess
Rédactrice en chef