L’intensité et la régularité du travail social de proximité ont un impact positif sur l’établissement des relations avec les groupes cibles. 
Reportage

Le travail en extérieur pour le bien-être intérieur

03.06.2022
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Le travail social de proximité est un instrument de travail à bas seuil du service socioculturel de la ville de Wädenswil. Quarante heures de travail par semaine sont consacrées à la mise en place d'offres de soutien, et ce là où se trouvent de nombreuses personnes : dans l'espace public.

L'éducateur social Hasan Memeti saisit le sac jaune vif et sort avec son collègue Martin Bannwart du bâtiment situé au centre de Wädenswil. Le « jailhouse-bag », recyclé à la prison de Pöschwies à partir de vieilles bâches, sert ici de signe de reconnaissance du travail social de proximité, une nouvelle unité créée en 2019 : le service socioculturel. Outre les champs d'action Travail de quartier, Travail sur les lieux de rencontre, Projets/événements et Conseil/information, il constitue le cinquième champ d'action exercé 40 heures par semaine dans cette commune d'environ 25 000 habitants située sur la rive gauche du lac de Zurich. Des ressources bien investies aux yeux de Hasan. « L'intensité et la régularité ont un impact positif sur l'établissement des relations avec nos groupes cibles. Et donc sur la base du travail social. »

Les deux collaborateurs échangent brièvement sur l'itinéraire, ils forment une équipe bien rodée. « Selon l'objectif, nous nous concentrons sur un groupe de population », explique Martin; ce mardi soir, ce sont les jeunes et les adultes. Les premiers croisent leur chemin après quelques minutes et saluent les travailleurs sociaux d'une poignée de main. S'ensuit une brève concertation sur la suite à donner à une nouvelle initiative : les deux jeunes de 14 ans s'engagent pour la construction d'une installation de pumptrack. « Le fait que j'apparaisse dans leur espace de vie facilite les échanges », souligne Hasan Memeti. La spontanéité leur convient bien. « S'ils peuvent s'impliquer activement, il leur sera plus facile d'assumer des responsabilités par la suite. » Le jeune homme de 32 ans, affecté au service « Jeunesse », connaît les soucis et besoins des adolescents. Son collègue, affecté au secteur « Adultes », est spécialisé dans ceux des résidents plus âgés. Ensemble, ils profitent de leurs connaissances respectives.

Des synergies grâce à une structure agile

Aurel Greter, responsable du service socioculturel, y voit justement un avantage : « L'idée du service socioculturel est de profiter des synergies grâce à des structures agiles, tout en proposant une offre aux groupes de population de tous âges. » Les groupes cibles se répartissent ainsi entre les domaines de l'enfant et de la famille, de la jeunesse, des adultes et des seniors, ce qui permet un accompagnement dans toutes les étapes de la vie. « Il existe en général une offre pour les enfants et les jeunes. Pour les adultes en revanche, ce n'est souvent qu'au moment où ils touchent l'aide sociale ou tombent dans la criminalité », explique le jeune homme de 39 ans. Le service socioculturel a pour objectif de lutter contre ce phénomène et d'accompagner en douceur les transitions critiques comme celle entre l'école et la vie active.

Alors que le soleil printanier brille haut dans le ciel, le travail social de proximité offre un accès à bas seuil. Sur la grande place de gravier au bord du lac, flanquée de deux restaurants chaleureux, tous les bancs sont occupés et les enfants s’amusent sur les balançoires de l'aire de jeux. A deux pas, le mur du port se transforme en lieu de rencontre officieux pour les personnes dont la présence n'est pas toujours appréciée. Maladies mentales, aide sociale, AI, addictions et problèmes économiques sont autant de thèmes qui se donnent ici la main. Les travailleurs sociaux y trouvent rapidement leur place, les gens se connaissent et se saluent par leur prénom. En peu de temps, ils participent aux conversations. La bière circule dans des canettes et bouteilles, Yuna* se plaint de ses problèmes de santé, Alex* est en proie à des démêlés avec les services sociaux et l’artisan Jens* cherche à se détendre en bonne compagnie après une dure journée de travail. Ils ont tous un point commun : le mur du port est leur salon délocalisé.

 Protéger les espaces sociaux

« Ce lieu est un espace social important, surtout pour les personnes en marge de notre société », résume Hasan Memeti. « Ce qui débute par un simple contact sur site peut évoluer vers un accompagnement précieux », ajoute Martin Bannwart. Si le chemin vers une instance officielle est parsemé d'embûches, nous le préparons par exemple avec un accompagnement personnel. « Les personnes retrouvent ainsi l'accès au système social pour bénéficier de prestations d’assistance ». Seul le travail relationnel permet cette démarche. Toutefois, le volume sonore et la bière en circulation génèrent parfois des tensions avec d'autres groupes d'usagers. « Lorsqu’un groupe est perçu comme gênant, il suffit souvent de le déplacer », déclare le chef de service Aurel Greter. Or, l'espace public est public parce qu'il doit être accessible à tous. « On oublie alors volontiers que le groupe perçu comme dérangeant fait lui aussi partie de notre société. »

Le gravier crisse sous les pieds, bientôt le son laisse place au bruit sourd des trottoirs bétonnés. Des jeunes croisent leur chemin, les saluent gentiment par leur nom. Ils retournent leur salut, mais ne s’arrêtent pas. « Le langage corporel montre souvent si le contact est souhaité ou non, explique Martin Bannwart, nous acceptons ces signaux. » Le groupe suivant à la gare exprime tout le contraire : les travailleurs sociaux sont interpelés de loin. A nouveau, la bière coule à flot en ce début de soirée de semaine. « Ce sont des gens bien », dit Paul* lorsqu’il explique pourquoi il leur a fait signe. Ils ont toujours le temps d'écouter. Une oreille attentive qui l'aide parfois à relativiser les difficultés dans la vie. Rancune envers les autorités, enfance qui a laissé des cicatrices : « Les histoires de vie sont variées et souvent difficiles », précise Martin. Dans un tel cas, le questionnement actif est contre-productif. « Souvent, il est néanmoins nécessaire d’initier le dialogue, ce qui exige que nous gardions une certaine distance. » Lors de chaque rencontre, nous devons aussi être conscients de son propre impact, ajoute Hasan. Nous dérangeons la structure de groupe établie. » Une perturbation qui peut tout à fait s’avérer positive : les travailleurs sociaux apportent des ressources sur lesquelles des personnes comme Paul* peuvent compter.

Soutien versus contrôle

Quelques centaines de mètres plus loin, le chemin mène à la place de l'école, où des mégots de cigarettes jonchent le sol : les détritus, un problème souvent délégué aux services d'animation pour la jeunesse. « La mission du travail social de proximité n'est pas celle d'une instance de contrôle. Si la relation est bonne, les jeunes sont plus susceptibles d’accepter des remarques sur les déchets qui traînent et reconnaissent qu'ils doivent faire leur part pour pouvoir rester à un endroit », explique Hasan Memeti. L’utilisation de l’espace public implique non seulement des droits, mais aussi des obligations. « Nous jouons un rôle de médiateur dans les conflits d'usage, nous contribuons à la sécurité sociale et à une cohabitation pacifique », souligne Martin Bannwart. Hasan ouvre le sac jaune vif, révélant peu à peu son contenu. Une trousse d'urgence, des filtres à charbon actif pour réduire les dégâts, des dépliants avec des offres d'aide ou des informations sur les événements à venir. Le « jailhouse-bag », signe distinctif extérieur, rappelle à l’interne le fonctionnement du travail social de proximité : une offre de soutien à bas seuil pour une participation autodéterminée et saine à la société.

*Nom modifié