Les jeunes apprécient à la fois les modalités d’accompagnement et le rythme proposé par la mesure VIP, qui leur permet de (se) fixer des objectifs atteignables.
Dossier

Les clés du succès et les défis de la mesure « Vers une insertion professionnelle » dans le canton de Fribourg

03.12.2023
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Accéder à une formation professionnelle améliore les chances d’insertion socioprofessionnelle. Pour de nombreux jeunes en difficulté (JAD), que leur parcours antérieur a rendus plus vulnérables, un soutien socioéducatif, motivationnel et professionnel s’avère souvent décisif pour décrocher une place d’apprentissage. Tel est l’objectif de la mesure d’insertion socioprofessionnelle « Vers une insertion professionnelle » (VIP), lancée en janvier 2020 par l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO) de Fribourg, et qui propose une combinaison d’ateliers professionnels, d’activités socioéducatives, musicales et de développement personnel.

La mesure d’insertion sociale VIP offre, dans le canton de Fribourg, un soutien personnalisé afin de permettre aux jeunes accompagné·e·s de retrouver une structure journalière et un rythme de travail, d’augmenter la confiance en soi et de développer les compétences de base nécessaires à une intégration socioprofessionnelle. Au moment de son lancement en 2020, le but de la mesure est d’accompagner le ou la jeune en vue de lui permettre d’accéder à une formation professionnelle.

Les jeunes qui arrivent à VIP ont des profils et des trajectoires hétérogènes : ils et elles présentent des problématiques autant spécifiques que diversifiées. Ces jeunes ont généralement cumulé dans leur parcours antérieur à leur entrée dans VIP plusieurs expériences d’échec (à la fois scolaire et en formation professionnelle) et sont généralement fragilisé·e·s au niveau émotionnel (structures familiales défaillantes, situations d’abandon ou de décès d’un parent). Ces éléments contribuent à fragiliser leur (sentiment de) sécurité et leur stabilité tant économique que matérielle et émotionnelle (voire psychique) dans une période déjà instable qui est l’âge de l’adolescence. Le manque de soutien (familial principalement) est un point qu’ils et elles ont souvent en commun. Par la suite, les problématiques que ces jeunes présentent peuvent varier, allant de comportements déviants (usage de drogues, petite délinquance), au développement de troubles psychiques et mentaux (anxiété, trouble bipolaire, personnalité borderline, etc.), en passant par le développement de comportements addictifs (dépendance aux jeux, aux drogues). À cela, s’ajoutent de mauvaises conditions de vie, allant d’un dérèglement du rythme de vie et du sommeil jusqu’à vivre sans domicile fixe (dans la rue).

Toutes ces conditions réunies ne permettent pas aux jeunes de définir un projet et de l’entreprendre, qu’il soit de formation ou professionnel. Le fait de vivre dans un contexte (physique, psychique) instable et parfois déstructuré apparaît incompatible avec la maîtrise demandée dans la gestion du quotidien et des tâches requises pour pouvoir réaliser et s’engager dans un stage, un apprentissage, une formation ou a fortiori un emploi. Il est important de remarquer que ces fragilités cumulées dans le temps, intervenant de manière jalonnée dans les parcours individuels, produisent des vulnérabilités sociales importantes sur le moyen-long terme d’une trajectoire de vie. Ces situations révèlent aussi l’absence d’une détection précoce de ces problématiques sous-jacentes et présentes souvent depuis l’enfance, ainsi que l’absence d’une prise en charge adéquate. La mesure VIP vient pallier cette absence d’accompagnement et de suivi des jeunes dont les parcours sont parsemés de failles éducatives et d’échecs scolaires.

Lorsqu’ils et elles arrivent à VIP, les jeunes se disent « perdu·e·s », n’ayant pas de projet d’avenir clair. À cela s’ajoutent de fortes restrictions financières, affaiblissant ultérieurement leurs capacités d’agir. Plusieurs sont à l’aide sociale, certain·e·s vivent avec un parent, la plupart du temps dans un foyer monoparental. Souvent, l’un des deux parents est bénéficiaire d’une assurance sociale (chômage, AI) ou de l’aide sociale, ou exerce un emploi précaire. L’adulte référent est généralement peu investi dans la relation parentale. Lorsque les jeunes reviennent sur leurs trajectoires, ils et elles invoquent des moments charnière, en particulier en lien avec leur parcours scolaire qui est qualifié d’« échec ».

La mesure VIP vise à répondre aux besoins spécifiques des jeunes adultes en difficulté (JAD), notamment ceux en lien avec les problématiques d’un chômage de longue durée, voire d’inoccupation et d’un manque de formation initiale. Certain·e·s candidat·e·s se trouvent au carrefour de différents dispositifs ou systèmes de prise en charge (aide sociale, asile, assurance invalidité, etc.) ou rencontrent des difficultés supplémentaires (problèmes avec la justice, addictions, etc.). La mesure VIP répond principalement à ces situations, l’objectif étant d’accueillir un maximum de 14 jeunes entre 18 et 30 ans pour une durée de 3 à 12 mois. Concrètement, et jusqu’à aujourd’hui, VIP s’est adressée à des jeunes âgé·e·s de 18 à 25 ans ne pouvant pas (encore) intégrer le programme « Avenir 20-25 » (rebaptisé « Avenir Formation Pro ») ou qui ont dû l’interrompre pour diverses raisons (absences répétées, besoin d’insertion sociale prioritaire, besoin d’un cadre quotidien plus structurant, manque de motivation, etc.). Au travers d’activités socioéducatives, de développement personnel, musicales et sportives, la mesure VIP permet de déceler des problématiques invisibles ou sous-jacentes aux multiples échecs caractérisant les parcours de ces jeunes et qui n’avaient pas pu être suffisamment identifiées et explorées par les autres professionnel·le·s intervenu·e·s précédemment (AS, case manager, conseiller·ère ORP), ni relevées par les jeunes eux·elles-mêmes.

Une mesure qui répond aux besoins du moment des jeunes

Dans le cadre d’une évaluation de la mesure VIP effectuée par la HETS-FR, différent·e·s acteurs et actrices œuvrant au sein ou autour de la mesure VIP, dont les jeunes eux et elles-mêmes, ont été interviewé·e·s. Des entretiens réalisés avec ces derniers et dernières, il ressort notamment que les jeunes ont le souhait de changer leur style de vie et de « s’en sortir », mais se déclarent désemparé·e·s et peu outillé·e·s. Les jeunes participant·e·s à la mesure expriment souvent un sentiment d’être – pour diverses raisons – « dépassé·e·s » par les événements qui ont jalonné leur vie. Ils et elles manifestent aussi une certaine lucidité vis-à-vis de leur situation personnelle et reconnaissent que ces multiples difficultés les empêchent de trouver ou de garder un emploi (altération du rythme de vie, cercle social restreint, liens sociaux faibles, voire inexistants allant jusqu’à l’isolement, etc.). Le fait de se désocialiser (d’un rythme, d’une activité) les amène fréquemment à développer des addictions (aux écrans), de la dépendance aux drogues, des habitudes alimentaires ou une hygiène de vie mauvaises (un seul repas par jour, dormir en journée). L’ensemble de ce dérèglement du rythme de vie a un impact sur leur vie sociale (isolement, voire [risque d’] exclusion sociale). Souvent, ces différentes difficultés se cumulent.

Interrogé·e·s sur leur perception de la mesure VIP, ils et elles soulignent son utilité très concrète (aide pour répondre à des courriels administratifs ou à la prise de rendez-vous, activation d’un suivi médical, etc.) et une influence bénéfique sur leur bien-être : la présence à l’atelier et le contexte dans lequel se déroulent les activités à VIP ont des répercussions positives sur leurs rythmes de vie, et a fortiori sur leur santé.

« À me recadrer, déjà maintenant ça a fait un peu effet parce que je mange de nouveau un peu mieux, j'ai de nouveau un rythme, parce que je commençais gentiment à devenir déprimé […] comment dire nerveux quoi, m'énerver pour un rien et pour un tout. Et du coup ça devenait invivable, même pour moi, quoi. Et puis le fait de m'être rythmé et de mettre mes idées sur quelque chose à la place de rien faire, ça m'aide bien quoi. »

Lou, 22 ans

Certain·e·s jeunes mettent également en avant les compétences sociales acquises durant la mesure VIP, qu’elles soient en lien avec le respect des règles de sécurité, à la collaboration durant les activités, aux interactions sociales avec les autres jeunes ou avec les maîtres socioprofessionnels actifs au sein de la structure.

« Au niveau du cadre horaire, moi j’étais déboussolé et là ils m’ont remis correct. Au niveau du fait qu’administrativement il faut quand même avoir une certaine base, là ils m’ont recadré aussi. Au niveau de la conversation avec autrui, avec une équipe, des collègues, avec peu importe qui pourrait être en connexion avec ma personne, là aussi ils ont fait en sorte que ça puisse aboutir sur quelque chose. Au niveau du travail aussi, du cadrage du travail d’atelier manuel, de se rendre compte de ce que l’on peut faire individuellement et grâce aux autres, de par rapport à ce qu’ils pourront donner de leur personne pour aboutir à quelque chose. Et puis par rapport à tout ce qu’est l’infrastructure, pour que l’on puisse aboutir dans nos démarches. » 

Nika, 30 ans 

Finalement, les jeunes interrogé·e·s apprécient à la fois les modalités d’accompagnement et le rythme proposé par la mesure VIP. Le fait que cette dernière s’inscrive dans une temporalité plus longue et qu’elle soit associée à une moindre pression, leur permet de (se) fixer des objectifs atteignables.

« Enfin arrivée ! » : l’appréciation des professionnel·le·s

Du côté des professionnel·le·s directement en contact avec les jeunes, tel·le·s que les case managers, les assistant·e·s sociaux·ales, les maître·sse·s socioprofessionnel·le·s ou les éducateur·trice·s, la mesure VIP est considérée comme une réponse institutionnelle aux besoins d’un profil particulier de jeunes désaffilié·e·s fortement bienvenue. Pour ces professionnel·le·s, VIP constitue une « bonne mesure » et offre aux jeunes la possibilité de structurer leur quotidien, d’acquérir un rythme de vie régulier et de leur donner un « cadre » au sein duquel ils et elles peuvent entraîner leur résistance au travail. Le fait de rester parfois plusieurs années sans activité (ni en formation ni en emploi) rend ce public particulièrement complexe à accompagner dans un parcours de (ré)insertion socioprofessionnelle. Le nombre et la diversité des problématiques et fragilités rencontrées chez ces jeunes rendent parfois nécessaire la mise en place d’activités de resocialisation. Il n’est pas rare non plus que la mesure permette de faire émerger des problématiques plus sévères, de poser un diagnostic médical et de rediriger le ou la jeune vers une prise en charge adéquate, voire d’entamer une demande auprès de l’assurance invalidité.

Les avantages et points positifs relevés par les responsables de services sociaux du canton de Fribourg concernent le fait que VIP permet « d’aller chercher » les jeunes et d’adapter leur accompagnement (au niveau des objectifs, des temporalités, etc.), à la fois à leurs caractéristiques individuelles mais aussi au moment où ils ou elles se trouvent dans leurs parcours de vie. VIP offre une souplesse qui permet de « tester » également les capacités des jeunes par rapport à des objectifs qu’ils ou elles peuvent coconstruire et codéfinir. Cette place fondamentale laissée aux jeunes s’avère décisive dans le succès de ce dispositif dans la mesure où il contribue à rendre le ou la jeune véritablement acteur-trice d’un projet personnel et qui lui appartient.

Cet aspect est particulièrement souligné par les cases managers qui, de leur côté, apprécient également VIP en ce qu’elle leur permet notamment d’évaluer plus finement certains profils et situations de jeunes, améliorant leur capacité à les orienter ensuite. Tout comme les responsables des services sociaux, les cases managers mettent en avant le travail effectué dans VIP sur le réseau et les compétences des jeunes, en particulier les soft skills (compétences sociales et relationnelles).

Conclusions et pistes de réflexion pour l’avenir

L’évaluation a permis de mettre en exergue la capacité de VIP à accueillir un public hétérogène et à offrir une solution d’accompagnement pour des situations individuelles incertaines et pour lesquelles un diagnostic médical ou social est souvent en cours. Il n’est pas rare que VIP permette de faire émerger une problématique sous-jacente qui n’avait pas été repérée auparavant (problèmes de santé et/ou de dépendance, précarité matérielle importante telle que le manque d’un logement fixe, etc.). En ce sens, VIP répond à une prise en charge d’un public spécifique pour lequel les autres mesures existantes sont inadéquates ou inadaptées.

Du fait de son hétérogénéité, le public de VIP soulève la question du type d’accompagnement proposé, et de sa généralisation possible, mais aussi celle du suivi une fois la mesure achevée. Les résultats de l’évaluation soulignent l’importance de la relation de confiance avec le ou la jeune, ainsi que l’enjeu du maintien d’un lien fort avec une figure de référence une fois la mesure conclue. Dans cette perspective, l’équipe socioéducative de VIP déploie des compétences multiples et diversifiées (job coaching, coaching, accompagnement socioéducatif, etc.) qui pourraient plus largement être mises au service des jeunes au-delà de la fin de la mesure.

La qualité de l’accompagnement et sa capacité à faire du « sur mesure » a cependant un coût. Des questionnements éthiques et déontologiques sont ainsi soulevés par le type de services fournis par l’équipe socioéducative de VIP et que le public particulier accueilli met en évidence : les barrières entre les espaces-temps professionnel et personnel sont souvent mises à mal, comme lorsqu’il s’agit d’aller chercher le ou la jeune chez lui ou elle, de l’aider à déménager, de l’accompagner chez le médecin, etc. Si ces activités sortent du périmètre d’intervention prévu, ne pas s’assurer qu’elles soient effectivement réalisées menace cependant l’entier du travail socioéducatif réalisé jusque-là, les jeunes pouvant disparaître du dispositif d’intervention et échapper (éventuellement une fois de plus) à la vigilance des services concernés.

Compte tenu de l’intersection des problématiques que rencontre le public de VIP, parfois leur juxtaposition, la mesure pourrait s’inscrire dans une collaboration avec l’assurance invalidité (AI) qui pourrait recourir plus systématiquement à ce dispositif dans le cadre de parcours d’insertion ou de réinsertion socioprofessionnelle, ou encore dans le cadre de processus d’établissement d’un diagnostic médical. D’autres collaborations semblent également possibles, à l’image de celles développées plus récemment avec des organisations en charge de l’accueil et de l’accompagnement des réfugié·e·s et requérant·e·s d’asile. La souplesse du dispositif, mais aussi sa capacité à individualiser le suivi de chaque jeune apparaissent comme deux caractéristiques décisives permettant de s’adapter, et de répondre, à un public aux besoins spécifiques, que l’on songe aux migrant·e·s ou aux jeunes atteint·e·s dans leur santé mentale par exemple.

La question de (l’absence de) la prise en charge précoce – le fait de détecter et d’accompagner des situations sociales « à risque » – émerge en filigrane de l’évaluation. En effet, VIP aide clairement à mettre en lumière des situations dont la prise en charge aurait pu être anticipée, notamment lors du passage à l’école obligatoire. Dans cette optique, la présence et l’intervention de travailleurs et travailleuses sociales en milieu scolaire (TSS) paraissent fondamentales. La récente décision du canton de Fribourg de recruter des dizaines de TSS va dans cette direction. Le rôle des enseignant·e·s apparaît également crucial en matière de détection précoce et c’est tout l’écosystème scolaire qui doit être mobilisé en ce sens.

En miroir, le constat de l’existence de jeunes connaissant des situations de difficultés multiples et décrit·e·s comme victimes de désocialisation(s) pose des défis importants, y compris d’ordre moral, aux institutions publiques et services sociaux existants, et interroge l’engagement et la responsabilité des employeurs et des associations professionnelles. Compte tenu du fonctionnement de l’aide sociale dans le canton de Fribourg et de la répartition des responsabilités (et du financement) entre communes et canton en la matière, il existe notamment un risque d’inégalités territoriales en matière d’accès et de choix à disposition. Un moyen pour les limiter pourrait être de proposer une extension du droit à la formation au niveau cantonal dans l’objectif d’offrir une possibilité d’accéder à une formation ou à un stage, sans que cela ne pèse sur le budget des communes. Enfin, une observation fine du phénomène, par ailleurs dynamique, des « jeunes sans solution » dans le canton de Fribourg et un renforcement du monitoring de l’évolution de ces réalités sociales pourraient contribuer à éviter le morcellement des mesures (parfois trop courtes ou répétitives) et prévenir le décrochage scolaire.

Prof. Maël Dif-Pradalier, Michela Villani
HES-SO, Haute école de travail social de Fribourg