Les familles avec des enfants en bas âge, âgés de 0 à 3 ans, sont les plus concernées par les situations de risque précaires.
Dossier

Les enfants en situation de pauvreté en Suisse

03.03.2024

Souvent ignorée, la pauvreté infantile existe aussi en Suisse. Cette situation prétérite l’équité des chances et peut se transmettre d’une génération à l’autre. Les mesures préventives telles que les prestations complémentaires pour familles n'existent que dans quelques cantons. D'autres projets-pilotes innovants commencent à faire leurs preuves.

En 1997, la Suisse a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant. Cette dernière cherche à garantir une vie sûre et digne aux enfants en leur assurant le droit de pouvoir grandir en bonne santé, en sécurité, en étant écoutés et traités de manière égale.

Il est évident que vivre et grandir dans une situation de précarité peut mettre à mal certains de ces objectifs. Aujourd’hui, en Suisse, 134'000 enfants sont touchés par la pauvreté. En moyenne, un enfant par classe vit dans une famille pauvre. C’est une réalité souvent ignorée mais près d’un tiers des bénéficiaires de l’aide sociale sont des enfants. En 2022, la classe d’âge avec le plus fort taux de recours à l’aide sociale est bien celle des mineurs avec 4,8 %, contre 2,9 % pour l’ensemble de la population.

Néanmoins, de très fortes disparités existent entre les cantons. Le canton de Neuchâtel connaît le plus fort taux d’aide sociale pour les enfants avec une moyenne de 9,6 %. Certaines classes d’âge atteignent même des pics taux bien supérieurs avec, par exemple, 12 % de bénéficiaires de l’aide sociale chez les enfants de 8 ans. Deux autres cantons ont des taux moyens particulièrement élevés pour les enfants : Genève (8,9 %) et Bâle-Ville (8,3 %). Notons que ces trois cantons ont aussi les plus hauts taux d’aide sociale rapportés à l’ensemble de la population.

À l’inverse, dans le canton de Thurgovie, seulement 1,8 % des enfants sont bénéficiaires de l’aide sociale. En chiffres absolus, la moitié des enfants à l’aide sociale résident dans les cantons de Zurich, Berne, Vaud et Genève.

Certaines familles plus à risque de précarité

Ces moyennes et ces chiffres absolus ne permettent pas de mettre en évidence certaines caractéristiques des facteurs qui amènent les enfants à vivre dans la précarité. Certains facteurs individuels jouent un rôle au niveau du revenu des parents comme la formation ou le taux d’emploi. Nous allons toutefois ici plutôt nous arrêter sur les situations liées directement à la famille.

En premier lieu, les types de constellations familiales peuvent influencer le risque de pauvreté. Alors qu’elles ne représentent que 4,7 % des ménages en Suisse, les familles monoparentales constituent les 26,2 % des cas, où une famille risquait de vivre dans la précarité en 2022. Dans 20,6 % des cas, les familles nombreuses, avec trois enfants ou plus, connaissent elles aussi un risque accru de précarité (OFS 2023b).

L’âge des enfants est aussi un élément décisif. Les situations de risque de précarité concernent principalement les familles avec des enfants encore mineurs et plus particulièrement en bas âge de 0 à 3 ans (19,9 %). Les familles monoparentales avec des enfants mineurs sont bien la configuration avec le plus grand risque de vivre dans la précarité avec un taux de 34,5 %.

L’âge des parents joue aussi un rôle important. Les parents plus jeunes vivent dans des conditions plus précaires et leur probabilité de percevoir l’aide sociale est ainsi plus haute (COFF 2020).

La pauvreté de génération en génération

Après ce constat sur la pauvreté infantile en Suisse, qu’en est-il des conséquences concrètes sur le quotidien des enfants ? La récente étude SILC de l’OFS amène une lumière chiffrée sur ce phénomène. En 2021, faute de moyen, ce sont 5,5 % des enfants qui ne peuvent pas prendre part à des activités de loisir régulières et payantes. Cela prétérite grandement les chances de pouvoir s’intégrer socialement. Aussi, 6,1 % des enfants n’ont pas pu passer des vacances hors de leur domicile. Néanmoins, il est à noter que le taux de privations spécifiques (3 privations sur les 17 domaines spécifiques évalués comme des vêtements neufs ou des livres adaptés à l’âge) en Suisse s’élève à 6,4 %, ce qui est inférieur à la moyenne européenne de 13 %.

En Suisse comme ailleurs, l’origine sociale a une très grande influence sur le parcours scolaire des enfants. Grandir dans la pauvreté impacte négativement les chances de formation supérieure des enfants et adolescents. Dès lors, la pauvreté a de fortes chances de se transmettre de manière intergénérationnelle. En Suisse, il faut en moyenne cinq générations pour que les descendants du plus pauvre décile de la population atteignent la classe moyenne. Ces chiffres démontrent bien l’importance de soutenir les familles et les enfants en situation de précarité afin d’éviter que cette situation ne perdure à travers des générations.

Moyens politiques de lutte contre la pauvreté infantile

Pour ce faire, il est nécessaire de mettre en place des politiques visant à plus d’inclusion et d’équité pour les enfants de familles vivant dans la précarité. La Commission fédérale pour les questions familiales (COFF) rappelle d’ailleurs qu’investir dans des mesures d’encouragement individuel pour les familles précaires est même financièrement rentable lorsqu’on rapporte ces dépenses à celles d’un soutien financier permanent et à long terme. À titre d’exemple, l’association d’utilité publique « a:primo » s’engage quotidiennement dans plusieurs régions et villes suisses en mettant en place des offres d’encouragement précoce pour les enfants en bas âge.

Avec une approche plus systématisée, le projet GUSTAF (Guter Start ins Familienleben – Un bon départ dans la vie de famille) fait partie des pionniers en Suisse. Ce modèle mis en place par le canton de Nidwald et son service social soutient les familles avec des problématiques multiples. Cette approche permet la création d’un réseau centré sur la famille et impliquant les différents services spécialisés des domaines sociaux, de la formation ou de la santé. La meilleure et plus étroite collaboration entre les sages-femmes, pédiatres, travailleurs sociaux ou de crèche a amené des résultats positifs dans la prise en charge et le suivi de familles vivant dans la précarité.

Selon la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS), le développement des prestations complémentaires (PC) est un outil important afin de lutter contre la pauvreté des familles et le recours à l’aide sociale. Quatre cantons ont d’ailleurs mis en place des PC familles (Genève, Soleure, Tessin et Vaud). Le constat est clair et encourageant avec une diminution de la pauvreté des familles ainsi qu’une amélioration de leur situation.

Des initiatives existent donc au niveau cantonal afin de mettre en place des structures et des prestations qui soutiennent les familles et les enfants en situation de précarité. À travers la Suisse, il est temps que la pauvreté infantile soit plus largement et mieux prise en charge afin de garantir un futur à l’abri de la précarité pour les prochaines générations.

Salomon Bennour
Collaborateur rédactionnel