Pauvreté croissante malgré des taux d’aide sociale en baisse – que se passe-t-il ?

03.03.2023

Les milieux spécialisés connaissent depuis longtemps le phénomène de « renoncer volontairement » à l'aide sociale publique. Les raisons sont multiples : exposition sociale, sentiment de honte, manque de connaissances ou informations erronées, peur de devoir rembourser ou contribuer à l’entretien de proches parents, nombreuses obligations et contrôles approfondis. Les obstacles pour accéder aux prestations d'aide sociale ont encore été renforcés ces dernières années. Les durcissements introduits en 2019 dans le droit des étrangers revêtent une grande importance à cet égard. Si les migrantes et migrants perçoivent l'aide sociale, ils risquent de se voir retirer leur autorisation de séjour. Pour de nombreuses personnes, ces durcissements signifient automatiquement une exclusion du système de sécurité sociale suisse. Les personnes sans permis de séjour ont encore moins de marge de manœuvre. Le fait de renoncer à l'aide sociale plonge les personnes concernées, qu'il s'agisse de personnes seules ou de familles avec enfants, dans une situation de détresse existentielle. Pour y remédier, la ville de Berne a lancé en janvier 2023 le projet-pilote « Aide de transition » (page 25) en collaboration avec le service de travail social de la paroisse catholique romaine de Berne et environs.

Selon les estimations, le non-recours à l'aide sociale est sous-estimé depuis des années. La pandémie nous a montré que la pauvreté cachée n'est pas un phénomène marginal. Les longues files d'attente aux distributions alimentaires ont surpris les professionnels les plus expérimentés. Et pour de nombreuses personnes, la précarité semble perdurer malgré la fin de la pandémie et la bonne situation du marché du travail. Les hébergements d'urgence de la ville de Berne affichent complet depuis des mois ; le nombre de sans-abri a augmenté durablement dans la ville de Berne. Lors de la table ronde sur la lutte contre la pauvreté organisée à intervalles réguliers, les organisations d’entraide ecclésiastiques et privées témoignent de la fréquentation ininterrompue de leurs offres d’assistance et surtout de leurs points de distribution de denrées alimentaires. Et non, celui qui fait la queue n'est pas un profiteur qui a trouvé un moyen avantageux d'optimiser les dépenses courantes de son ménage. Les œuvres d'entraide procèdent aussi à des contrôles des conditions d’octroi. Les personnes concernées n'ont tout simplement pas assez d'argent pour subvenir à leurs besoins vitaux. La pression n’a cessé de croître en raison de la hausse des prix de l'électricité et du renchérissement. Et pourtant, de nombreuses personnes semblent continuer à renoncer à faire valoir leurs droits légitimes auprès des services sociaux.

Les retours des organisations non gouvernementales sont en contradiction avec la baisse actuelle du taux d'aide sociale. Pour la politique sociale, le rejet des prestations d’aide sociale revêt une importance capitale. Si l'aide sociale n'agit plus comme le dernier filet du système de sécurité sociale parce que les lacunes sont devenues trop importantes suite aux durcissements, il en résulte deux conséquences. Nous relativisons le devoir de l'État de garantir une existence digne aux personnes touchées par la pauvreté. Nous remettons ainsi en question le premier et le plus important droit fondamental ou droit de l’Homme de notre Constitution. En tant qu'État, nous sommes par ailleurs inconscients de l'évolution réelle de la pauvreté, car le taux d'aide sociale ne reflète plus les groupes croissants de personnes touchées par la pauvreté. Au regard des conséquences de la pauvreté, à savoir l'isolement, la maladie, l'abandon, la mort prématurée, la radicalisation, la hausse de la criminalité et probablement aussi la pénurie de main-d'œuvre qualifiée en raison d'opportunités de formation inexploitées, nous ne pouvons pas nous permettre de rester aveugles. Considérés isolément, les coûts de l'aide sociale baissent ; considérés globalement, nous déstabilisons notre société et en payons le prix fort.

Dr. iur. Claudia Hänzi
Responsable du service social de la ville de Berne