Die Sozialhilfe wird für Zwecke instrumentalisiert, die nicht in ihren Bereich fallen, nämlich die Migrationskontrolle.
Dossier

Une révision du droit des étrangers qui instrumentalise l’aide sociale

06.03.2022
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« Real Politik ou OPA conservatrice », la politique du Conseil fédéral en matière de droit de séjour des étrangers propose un durcissement envers les ressortissants d’États tiers au bénéfice de l’aide sociale. Cette révision du droit des étrangers a d’importantes répercussions sur le dernier filet de notre sécurité sociale, un des principaux vecteurs de paix et de cohésion sociale dans notre pays. Se servir de l’aide sociale pour infléchir la politique migratoire est une erreur.

Le 1er janvier 2021 a marqué l’entrée en vigueur des modifications de l’ordonnance fédérale 142.201.1 « relative aux autorisations soumises à la procédure d’approbation et aux décisions préalables dans le domaine du droit des étrangers ». La révision de cette ordonnance du Département fédéral de justice et police (OA-DFJP) fait partie d’un train de mesures visant à restreindre l’aide sociale aux étrangers originaires d’États tiers. Cette ingérence de la Confédération dans le domaine de l’aide sociale ouvre la possibilité d’une révocation de l’autorisation de séjour pour les ressortissants d’États tiers qui, dans les trois ans précédant l’échéance de leur titre de séjour, ont perçu des prestations d’aide sociale de 50 000 francs pour les personnes seules et de 80 000 francs pour les ménages de plusieurs personnes (art. 4 let g OA-DFJP). Le présent article discute des risques perçus par des acteurs de l’aide sociale de cette modification de l’OA-DFJP et des modalités de mise en œuvre proposées. Ce regard critique s’impose d’autant plus que, si la volonté de ce durcissement est ancrée dans le droit des étrangers, son application implique une participation active des services sociaux.

« À tout problème complexe, il existe une réponse évidente, simple et

fausse. »

(H.L. Mencken)

L’aide sociale représente le dernier filet de notre système de sécurité sociale. En vertu du principe de « subsidiarité », elle ne peut être sollicitée que lorsque toutes les autres possibilités du système de sécurité sociale ont été activées. Les prestations de l’aide sociale consistent, d’une part, à une aide financière et, d’autre part, à un accompagnement dans des projets d’insertion sociale et/ou professionnelle. En ce sens, l’aide sociale est un maillon fondamental de la lutte contre l’exclusion et la pauvreté et participe directement à la paix et la cohésion sociale de notre pays.

L’aide sociale en Suisse est de la responsabilité des cantons ou des communes. Les prestations sont délivrées par des professionnels au bénéfice d’une expertise reconnue pour permettre aux personnes confrontées à de graves problèmes – pauvreté, violence, exclusion, etc. – d’améliorer leur situation. Toutefois, pour maîtriser les dépenses publiques dans ce domaine, un important déploiement de mesures administratives et de contrôle a été développé ces vingt dernières années. Cette évolution met aujourd’hui les assistants sociaux de plus en plus dans une posture gestionnaire au détriment de celle d’acteurs du changement. Cet éloignement structurel du cœur de métier est un problème à ne pas sous-estimer face à la complexification des difficultés psychiques et sociales des demandeurs. Les nouvelles dispositions de l’OA-DFJP entrées en vigueur le 1er janvier 2021 ne font que renforcer cette tendance. Nous relevons ici trois problèmes majeurs que cette dernière engendre sur le fonctionnement des services sociaux.

1.       Échange d’information vs relation de confiance

Les modifications entrées en vigueur impliquent un échange d’information obligatoire entre les services sociaux et les services de migration. Si c’est déjà le cas dans d’autres situations (service des poursuites et faillites, service des contributions, service des migrations, etc.), l’obligation faite ici va plus loin. Les services sociaux doivent à présent commenter les informations transmises et porter une « appréciation » sur les cas concernés, ce qui ne va pas sans poser de problème. Le travail social se fonde sur l’établissement d’une relation de confiance et celle-ci est une condition sine qua non pour envisager un accompagnement efficace. La relation de confiance est ici mise à mal quand la personne accompagnée sait que le professionnel en face d’elle peut être amené à transmettre aux services des migrations des informations pouvant lui porter préjudice. De même, cela altère la posture adoptée par les professionnels quand ils savent que les informations qu’ils sont tenus de transmettre pourraient compromettre tout le travail d’insertion/intégration accompli jusque-là. Cette situation génèrera des tensions supplémentaires dans le rapport qui les lie. Il faut se rappeler que pour beaucoup de personnes, l’aide sociale est le dernier maillon qui les rattache encore à la collectivité. Ainsi, le dernier filet de la sécurité sociale soutient le pont qui relie l’individu et la société en préservant une existence digne et un avenir possible. La remise en cause du lien de confiance entre professionnels et allocataires de l’aide sociale affaiblit considérablement le travail d’accompagnement social et, plus largement, la cohésion sociale qui fait la force de notre société.

2.  Augmentation du non-recours aux prestations sociales

Le non-recours aux prestations sociales est un grave problème dont on prend de plus en plus conscience tant dans les milieux du travail social qu’au niveau politique. Phénomène caché, il est par essence difficilement chiffrable. Une récente étude a conclu que le non-recours concerne 26,3 % des personnes ayant droit à l’aide sociale dans le canton de Berne, atteignant jusqu’à 50 % dans certaines communes. Les motifs conduisant à ce non-recours sont multiples, dont la peur de la perte de droit de séjour, motif déjà évoqué dans une étude antérieure aux modifications discutées. On peut raisonnablement prédire que les changements relatifs aux droits des étrangers conduiront à une forte amplification de ce phénomène de non-recours. Or, ce qu’il importe de comprendre, c’est que le non-recours n’est pas nécessairement permanent, mais dans un certain nombre de situations temporaires.

Dès lors, il y a fort à parier que de nombreuses personnes tenteront de repousser aussi longtemps que possible leur entrée à l’aide sociale. Considérant que la diligence avec laquelle les situations sont prises en charge est un facteur-clef en vue d’une sortie rapide de l’aide sociale, les assistants sociaux vont se retrouver en face de problèmes dont la complexité aurait pu être évitée sans ces durcissements du droit des étrangers. Au final, alors que certaines motivations de ces changements invoquent la maîtrise des coûts de l’aide sociale, il se pourrait bien que la facture pour la collectivité s’alourdisse.

3. Accompagner plutôt que réprimer

L’aide sociale et le travail social se fondent essentiellement sur l’idée d’accompagnement et de confiance à l’égard des personnes en difficulté. Toutefois, la sanction fait aussi parfois partie du travail. Celle-ci n’est activée que lorsqu’il y a rupture dans les engagements des personnes couplée à une action fautive. Mais dans le cas présent, les ressortissants d’États tiers ne sont pas fautifs. S’il est vrai que la proportion des ressortissants d’États tiers à l’aide sociale est supérieure à celle des Suisses ou des ressortissants de l’UE/AELE, ils n’en portent pas la responsabilité comme le rapportent les données statistiques relatives à l’emploi issues de l’Office fédéral des statistiques et du SECO. La structure de l’emploi montre en effet que les ressortissants des États tiers sont beaucoup plus présents dans les emplois non qualifiés et dans des secteurs précaires comme la restauration. À titre d'exemple, environ 17 % des actifs occupés d'États tiers exercent une « profession élémentaire » contre seulement 3,5 % pour les Suisses et 8,5 % pour les ressortissants de l'UE/AELE. Cette précarité de l’emploi se reflète aussi dans les statistiques du chômage. Alors que le taux de chômage des Suisses se fixe à environ 3,5 %, il monte à quelque 13 % pour les ressortissants d’États tiers. L’emploi joue ainsi moins bien son rôle de protection contre la précarité pour ces personnes.

En outre, l’un des principaux facteurs de précarité et du recours à l’aide sociale réside dans le niveau de formation et de qualification. Or, il est démontré que les ressortissants d’États tiers ont des niveaux de qualification bien plus faible que ceux du reste de la population. Ainsi, 32 % des ressortissants des États tiers ont un niveau de formation qui ne dépasse pas l’école obligatoire (secondaire 1) alors que seuls 10 % des Suisses et 20 % des personnes de l’UE/AELE ont ce niveau. Il n’est dès lors pas étonnant que les ressortissants d’États tiers soient surreprésentés à l’aide sociale. La volonté politique visant à limiter ou empêcher l’accès à l’aide sociale, alors que les personnes n’ont pas nécessairement commis de faute, ne fait que péjorer la situation. Il est aussi important de rappeler que les personnes qui voient leur titre de séjour annulé et pour lesquelles une décision de renvoi est prononcée restent souvent encore plusieurs années sur le sol suisse. Ces personnes se trouvent sans permis de séjour, sans possibilité de travailler et bénéficient de l’aide sociale avec un montant minimum appelé « aide d’urgence » (correspond en Suisse à environ 300 francs par personne). Ces situations coûtent indirectement extrêmement cher à la collectivité. Cette approche de la politique migratoire est discriminante et de plus, ne permet pas aux travailleurs sociaux de mettre en place un accompagnement pour une réinsertion socioprofessionnelle efficace. Pour cela, les formations qualifiantes sont bien plus efficaces que les sanctions.

La dignité des personnes en situation de précarité doit être préservée

Les difficultés socioéconomiques et d’intégration d’une partie des populations issues d’États tiers posent un défi à la plupart des pays européens. Ce sujet est d’autant plus complexe qu’il y a enchevêtrement de politiques publiques majeures : migratoire, sociale et économique. L’équilibre entre les objectifs de ces politiques n’est pas simple à trouver et ce d’autant plus que les compétences en la matière sont réparties à différents niveaux. Malheureusement, il a été choisi d’instrumentaliser l’aide sociale à des fins qui ne relèvent pas de son champ, le contrôle migratoire, ce qui est une erreur et va à l’encontre de la cohésion sociale. En aucun cas, une décision administrative dans le domaine du droit des étrangers ne devrait influencer l’aide sociale. Dans une Suisse se revendiquant de valeurs humanistes, le domaine de l’aide sociale, dont le rôle est d’assurer la dignité des personnes en situation de précarité, doit être préservé et non fragilisé au profit de la régulation des flux migratoires.

Références pour aller plus loin

Modifications législatives:

Ordonnance (RO 2020 4743) du DFJP relative aux autorisations soumises à la procédure d’approbation et aux décisions préalables dans le domaine du droit des étrangers

Modification de l’ordonnance du DFJP relative aux autorisations soumises à la procédure d’approbation et aux décisions préalables dans le domaine du droit des étrangers :

Circulaire du service des migrations : commentaires et observations générales à propos de l’aide sociale et de l’obligation d’approbation en cas de versement d’une aide sociale au sens de l’Ordonnance du SEM du 2 février 2021

Au sujet du non-recours 

Initiative parlementaire 21.454 (Ada Marra) « Pour que les conditions d’accès à l’aide sociale et les conséquences du fait d’y accéder ne deviennent pas des éléments de paupérisation supplémentaires » 

Interpellation 21.4650 (Christian Dandrès) « jestime.ch peut-il être étendue à toute la Suisse avec le soutien de la Confédération ? »

Hümbelin O., 2019, « Non-take-up of social assistance : regional differences and the role of social norms » in Swiss Journal of Sociology, 45 (1), pp. 7-33

Lucas B. & al., 2019, Le non-recours aux prestations sociales à Genève. Quelles adaptations de la protection sociale aux attentes des familles en situation de précarité ?, Rapport de recherche, Haute école de travail social, Genève

Nicolas Gachet
Responsable de la veille sociale et stratégique
Hospice général, Genève
Yasmine Praz Dessimoz
Directrice de l’action sociale
Hospice général, Genève 
Frédéric Richter
Chef du service de l’Action sociale
Ville de Neuchâtel